Entretien avec Patrice Bé

extrait / septembre 2010

« …cela donne donc lieu à un jeu sur la porosité des champs, c’est bien cela ?

 

– Oui, on peut le dire comme ça, c’est un éclectisme des moyens, pas des fins [elle passe les mains dans ses cheveux].

 

– Cynthia – euh, oui, j’ai un peu de mal à t’appeler ainsi, mais comme tu as voulu modifier ton identité je respecte – Cynthia donc, tu avais plutôt jusqu’alors axé ton travail sur l’image mobile, sur l’utilisation de la vidéo. Je pense, entre autre à ce que j’avais vu il n’y a pas si longtemps à Shangaï, où cependant tu affichais déjà des intentions parodiques non nécessairement irrévérencieuses. Ainsi cette version très étrange de « Singing Sculpture » de Gilbert et George, où tu combinais des processus d’accélération et insensiblement de géométrisation du corps des deux artistes. Aujourd’hui tu sembles renouer avec des pratiques antérieures mais les bras beaucoup plus chargés de munitions, si j’ose dire.

 

– Il s’agit pour moi de mener une stratégie de l’agression, de l’agression symbolique bien entendu, mais de l’agression tout de même. Chaque œuvre en un premier temps en appelle à des codes établis, des processus consensuels, mais qui immédiatement mutent, s’autodétruisent et ouvrent alors sur une pluralité d’interprétations. Chaque travail se présente comme une évidence, la tarte tatin est une tarte tatin, un peu comme un cercle d’acier de Bernard Venet est un cercle et n’est qu’un cercle, mais ensuite c’est quand même une tarte retournée qui reste retournée, et puis arrive ce fait que ce n’est pas une tarte de même que la pipe n’est pas une pipe, etc…, etc…, car enfin n’éprouve t on pas le besoin de retourner toutes les tartes à la crème de la peinture, de voir derrière les tableaux par exemple… ? [étranges bruits avec sa bouche…, troublant…]

 

– Avec ces process déstabilisants, ce que tu essaies de montrer c’est que l’art développe des stratégies discursives complexes. Des objets d’apparence anodine comme le poireau, basique comme la baguette, utilitaires tel le réchaud à deux plaques, se trouvent subtilement détourés et placés dans un autre contexte, détournés de leur fonction habituelle sans que celle-ci disparaisse totalement, si bien qu’ils provoquent « l’arrêt ». Précisément, Cynthia, la beauté ne réside t elle pas dans cet arrêt, ce stimulus déroutant, ce stop placé sur l’autoroute de l’attendu , du convenu, signal qui ouvre sur des chemins multiples ?

 

– En fait aussi, ce sont les formes qui se parlent, le disque vinyl parle au réchaud qui parle au disque vinyl qui fait entendre sa voix, voix qui à son tour renvoie à une possible mélodie du réchaud.

 

– Ecouter, voir, ceci entraîne à entendre et à deviner…le spectateur se trouve restauré dans sa liberté de questionnement. Mais, Cynthia, puisque nous sommes en Bourgogne, que signifie ce choix de lieu, qui est un véritable choix de « campagne » si je puis me permettre !

 

– Tu as raison, une campagne, une vraie campagne, cela signifie s’établit ici une sorte de théâtre des opérations. S’organise ici un futur, et ce futur démarre où les amitiés et les circonstances le décident également, mais ce futur va par définition se poursuivre…

 

– Pour sortir de la grande misère symbolique de notre époque ?!

 

– [elle sourit largement]…exactement…